Je n' aime pas l' agropastoralisme.Comment peut- on aujourd'hui dire une telle
contre vérité?Mais c' est fondamentalement vrai, je n' aime pas l' agropastoralisme.
Il y a les raisons du cur.
Plus je parcours ces vertes vallées pyrénéennes où les femmes du début de ce siècle menèrent vaille que vaille ,
en dépit et entre deux guerres, des exploitations où la misère et le misérabilisme régnaient , plus je sens ma chair se rebeller, plus ma fibre cathare parle : Je n' aime pas l' agropastoralisme..
Il y a les raisons de la vie.
Sur ces fécondes estives où le randonneur n' est pas toujours le bienvenu, lui qui couche le foin nourricier descendu à dos d' homme ( ou de femme) vers les fenils valléens, Que de fleurs! Délaissons l' aconit bleu espoir ou horizon, mais voyons cette multitude de petites plantes qui composent la nourriture donnée en abondance par ces pâturages.Quelle variété! des rouges réglisses, des jaunes gaillet ou potentille, des mauves scabieuse, globulaire, colchique, ou autres...Et parmi elles, quelques criquets sauteurs, quelques sauterelles volantes et pas grand chose d' autre.La variété s' arrête aux plantes.La sauvagine se fait petite, le blaireau ne laisse guère de traces, l' alouette torche pot émerge des genêts.
Je m' ennuie.
Et pourtant que de bruit ! Dans ces moyennes hauteurs , tout sonne , résonne, brinqueballe aux sons de ces sonnailles, campanules ou clochettes: où est la douceur du repos? j' essaie d' imaginer la fierté de la vieille meneuse... Mais à quel prix ? qui dira les maux de tête de ces bêtes les soirs où on les équipe? qui mesurera la quantité ingérée les premiers jours où chaque mouvement de tête, de mâchoire, chaque coup d' il entraîne ce taper de la cloche?
Guide de la brebis égarée ? où ? les prés s' étalent au lointain, et une crête franchie permet le retour du troupeau ...
Entre vaches, on ne s' éloigne pas .Même les corneilles fuient, se lançant dans le vide de la vallée , délaissant les hauteurs.La vipère est rare et le circaète se nourrit mal.
Ce sont les pasteurs qui en profitent.Certes pas pour la gaieté que disent les chansons du début du siècle... Mais pour les pas qu' ils n' auront pas à faire pour rapprocher le troupeau à la traite.Un e petite course de la grosse cloche et le troupeau arrive au courtau; les bacs de pierre pour le lait ne seront plus aujourd' hui utilisés , les camions aussi entendent et arrivent..
Mauvaise foi...Car c' est de foi qu' il s' agit.....Seule sur ces sarrats, je m' arrête et écoute les plaintes.Celles des chants des agneaux comme ceux de Nadau, celles des peines de ma grand-mère .J' ai eu cinq malheurs, cinq filles.
Filles qui partaient à 14 ans servir ces messieurs de la ville.Petites bonnes naïves qui suivaient à Bordeaux , Paris ces belles dames un peu fragiles ...Qui partaient récurer chaudrons et marmites et retrouver dans les cendres et le savon l' odeur de chez elles."à dix heures, la moitié du travail du jour est fini."Fillettes qui charriaient le bois, les draps, l' eau des cuisines.
Jeunes femmes qui servaient à table et revenaient l' été , sous le regard du père, porter aux cadettes les dessous trop usés ou la robe fanée qui ferait les dimanches des plus jeunes. Jeunes filles qui ne pouvaient au risque du courroux et sans doute aussi des coups, couper les cheveux comme à la ville, et perdre ainsi l' estime du village à l' affût et la place où cette liberté était exigée sans compte des larmes et des dénies.
Femmes qui ramenaient le fils du fils du patron, dans le silence, ou la bague au doigt du cuisinier, du mercier ou du vitrier et devenait ainsi la bourgeoise lointaine qui ne viendrait plus et tombait dans la nuit de l' oubli...
Cadettes ou benjamines qui ne pouvaient que rêver de ce jeune homme siffleur qui venait à vélo de la ville, la voir et bientôt peut-être l' épouser, l' emmener à la ville et lui donner quelques enfants, le moins possible, tristes évènements...
Vertes vallées comme celle de l' Ercé qui s' expatriaient...Une richesse, un ours capturé, en fait , un bébé volé et rendu orphelin, que l' on dressait et avec lequel on partait au fil des routes de France.Les oursailhets devenaient trop nombreux sur les chemins; malmenés et pourchassées au fil des ans, détroussés, les valléens partaient au fil de l' eau, sur ces mers lointaines vers l' Amérique au middle West et aux grizzlys ravageurs. A New York, et le long des villes nouvelles, on exposait son compagnon d' infortune qui quémandait ses sous et non son miel, qui rapinait la nourriture comme celle de son maître et dormait dans les wagons, le nez enchaîné, les pattes entravés, et l' esclavage aboli par décret...
Une Amérique qui accueillit bientôt Basques , Ariégeois et autres soldats de 14 qui , rescapés, mouraient de misère et de faim dans ces vallées où les femmes avaient pris le relais...Quelques usines pour le drap , les laitages qui s' industrialisaient, les avions ne pourvoyaient en emploi que les quatrièmes , cinquièmes et plus de la fratrie.L' aîné était ou serait le maître quand l' ancien deviendrait sénile ou décèderait. Mais que faire des autres , vigoureux, vaillants, sachant lire parfois? Aller cuisiner près de Central Parc et oublier le Dieu Païen de son village .S' embaucher chez le voisin du cousin
et faire cuire ufs, lards et volaille à la manière de chez nous.Inventer ou découvrir la cochonnaille et servir la garbure à Washington.Encourager les parentes à émigrer aussi et dans ces temps où la guerre qui s' était finie et celle qui allait commencer laissaient des bras vides et amaigris, marier les surs et les rendre lavandières, tenancières ou caissières dans les restaurants qui sentaient bons la France.L' argent envoyé dans les familles ne coulait pas à flot mais irriguait les finances et rechaumait un toit, remplaçait la paire de mascaret par un tracteur ronflant et peureux sur les versants qui seraient bientôt délaissés et relâchés à la forêt.
C' était presque moins triste que les enfants ramoneurs des vallées savoyardes à Paris.